L'avenir se joue dans la chambre de nos parents.

Je ne sais plus très bien quel âge j'avais mais je dirais 5 ou 6 ans. C'est un souvenir muet, peut-être parce que mes dents étaient déjà toutes tombées et je n'avais que mes gencives à offrir dans mes plus beaux sourires. Il faut dire que le câble d'alimentation du fer à repasser qui traînait dans le salon m'avait bien aidé à l'ouvrage, en me faisant tombé par 2 fois en 15 jours sur le carrelage dur, froid et dur. C'est à la troisième fois que j'ai compris ce que me disait Mutti. "Jérôme, met tes mains devant quand tu tombes!" Der Lerneffekt, the learning effect, la courbe d'expérience, je n'intègre entièrement les choses qu'à la troisième fois.

5 ou 6 ans donc et plus de dents. Si le souvenir est muet, il est par contre baigné de cette lumière qui chauffait la chambre exposée plein sud de mes parents. Un grand velux laissait rentrer la douceur des derniers beaux jours de Décembre, vous savez, ceux où il fait -5°c avec un ciel bleu stabilo et un soleil jaune qui vous fait adorer l'hiver. Cette lumière allait taper directement sur le placard, de l'autre côté de la pièce. Ça tombe bien, je voulais voir ce qu'il y avait dedans.

Une grande tringle avec des tenues militaires et des robes à fleurs, des cravates pendues aussi. Les culottes et les chaussettes sont sur une étagère à hauteur de mes hanches, puis au sol trône le fer à repasser - "Enfor' toi! enf'ure!" - et quelques affaires de skis. Mais pas de trace de mon cadeau de Noël.

Je pousse les tréhis de Papa, je soulève les culottes de Maman, j'inspecte ma combinaison de ski bleu ciel... non, vraiment, aucune trace de Bob Trakker et son fidèle T-Bob, c'est rageant.

Un dernier regard derrière les chaussettes noires: ce plastique qui reflète un rayon de soleil, ne serait-ce pas... mais si, c'est bien ça! Je les ai trouvé! Oui!

Je vous présente T-Bob et Bob.

Attention, pas de faux mouvement: ne pas se jeter dessus. Il faut d'abord regarder comment il est posé. Si je veux venir le contempler tous les soirs, va falloir que je ruse: créer une diversion, ne pas faire de bruit, ne pas laisser de trace (de bave), et le reposer comme à l'origine. Un espion est né.

C'est ainsi que tous les soirs, je pénétrais dans la chambre de mes parents pendant qu'ils étaient encore à table, à discuter de ce qu'ils allaient faire de ce mioche déjà sociopathe au CP et qu'il fallait pousser à travailler, ou devant la télé, usés de ne pas trouver de réponse aux questions soulevées à table.

Au bout d'une semaine, je n'en pouvais plus. Je suis rentré dans la chambre avec une paire de ciseaux, j'ai pris Bob et T-Bob sur mes genoux, bien emballé dans leur plastique froid, et je me suis dit qu'il était temps de les libérer... Avec 25 ans de recul, je me dis surtout que j'aurais du prendre un cutter, c'est plus intéressant que des ciseaux en terme de mise en scène et toi lecteur tu aurais mieux ressenti dans quel état de tension je me trouvais. Merde quoi, fallait bien que je joue un peu avec pour faire passer ce dimanche chiant comme la mort!

A 3, je coupe: 1...2...
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Je ne l'ai pas fait. Bien m'en a pris. Fouillé dans le placard, c'est nul et c'est peut-être là que je me suis pourri tous mes Noëls. Mais ne pas avoir ouvert l'emballage a, je crois, fait de moi un sociopathe fréquentable.